Tijuana Moods de Charles Mingus : sueur / jazz / plaisir

Tijuana Moods Charles Mingus 1957

Charles MINGUS

Tijuana Moods

1957

Pour commencer à ressentir cet intense plaisir et découvrir une fois de plus ce qu’est le JAZZ, cliquer sur le bouton play du lecteur juste ci-dessous.
Il y a des pubs entre certains morceaux mais on s’en fout, tout l’album y est : que demande le peuple ?
[un bonus track en sus après 35 minutes de bonheur : toujours des réclamations ?]
Sinon, je ne suis en aucune manière responsable de cette mise en ligne… L’album a été mis en ligne depuis quelques mois sur YouTube… aucune réclamation depuis lors…

Le personnel de Tijauana Moods :

      Charles Mingus : leader and bass / Compositeur-chef-de-meute et contrebasse
      Jimmy Knepper : trombone / « trombone » (accent français)
      Curtis Porter (Shafi Hadi) : alto saxophone / saxophone alto
      Clarence Shaw : trumpet / trompette
      Bill Triglia : piano / piano(sans diphtongue)
      Danny Richmond : drums / batterie
      Frankie Dunlop : percussion / activité percussive autre que celle du batteur
      Ysabel Morel : castinets /castagnettes (palillos)
      Lonnie Elder : voices / chant

Le meilleur album de Charles Mingus ?

Présenter une œuvre qui s’est logée sans prévenir dans une zone centrale de sa sensibilité, relève d’un exercice désagréable. Il ne s’agit plus d’une chronique parmi d’autres. La seule évocation de l’écoute de la pièce privilégiée, m’oblige à plonger dans l’appréhension d’une expérience acoustique dont la nature procède d’une réalité fusionnelle.
Je ne pouvais vous donner partie de mon intimité sans vous prévenir. C’est chose faite.

Charles Mingus a déclaré publiquement au moment de la sortie de Tijuana Moods :

“This is the best record I ever made”

Cette déclaration ronflante émanant d’un clown politisé, névropathe cyclique et grand amateur d’esclandres plus ou moins justifiés, implique un instinctif mouvement de recul. Dans le cas qui nous occupe, cette réaction s’avère sans fondement. On te croît Charlie et plutôt deux fois qu’une, tout créateur border-line que tu sois.

L’enregistrement des 5 morceaux qui constituent l’œuvre s’effectua sur deux jours : les 18 juillet et 6 août 1957, dans le Victor’s Studio de la RCA, dans la ville de New York, comme il se doit pour un jazzman doublé d’un poète à tendance beatnik.
Cinq années dans le placard avant de paraître au grand jour. Si Mingus fait une déclaration à l’emporte-pièce de ce type, c’est sûrement pour que l’album ne passe pas inaperçu, noyé qu’il pourrait-être dans la production pléthorique des années 60. On peut également se demander si Charlie ne s’était pas laissé dire que Tijuana Moods était encore trop en avance sur son temps, donc susceptible de ne pas être considéré à sa juste valeur.

Je suis de ceux qui pensent que cet album est un nexus. Il hérite du dépôt de l’histoire du Jazz qui le précède, et contient en germe les futures péripéties jazzistiques. Un disque qui représente les racines du Jazz en même temps que sa modernité sans cesse renouvelée. L’essence du jazz est la contemporanéité.

Tijuana Moods aurait pu être enregistré hier / ou pourrait l’être demain

Un album-concept avant-gardiste ?
Pas du tout. Et puis la notion d’avant-garde (accent français et un peu d’emphase dans la mise en bouche) est complètement dépassé, vous en conviendrez.

Plutôt un conte cruel intemporel.

Chaque pièce du puzzle musical témoigne d’une expérience vécue par le géant contrebassiste : détours mexicains torturés pour pallier à la souffrance d’une déception amoureuse. Tout y passe. Catharsis. Plongeon dans la luxure. Nostalgie existentielle.

Tijuana est une ville du Mexique avec une sale réputation, amplement méritée.
La première ville dans cette région où les lois ne sont plus celles des États-Unis. Tout y est permis, ou presque : strip-tease toujours plus audacieux, le sexe dans sa plus primaire expression, les drogues. L’eau devait être plus chère que l’alcool. Même le divorce était autorisé ! Vous passiez la frontière et cela semblait vous permettre d’outrepasser toutes les autres. J’en parle au passé, mais Tijuana est resté un réservoir de rêves délavés. L’antichambre des enfers avant le grand plongeon vers le néant social et spirituel. A votre santé ! Hip ! Passez-moi ma dose les filles ! Avec en prime la liberté d’en crever dans l’anonymat. Le peuple n’a décidément plus rien à demander.

La fin des années 50 marque la médiatisation, plus ou moins glauque et complaisante, de ce type d’endroits aux programmes bien réglés de dépravations absurdes dirigées vers l’extinction.
En 1958, Orson Welles réalise Touch of Evil (La Soif du Mal) : le lieu des intrigues narcotiques et meurtrières ressemble à s’y méprendre à la station balnéaire de Mingus.

Affiche du film TOUCH OF EVIL de Orson Welles - 1958
Affiche du film TOUCH OF EVIL de Orson Welles – 1958

Les différentes pistes de Tijuana Moods :

Je reproduis pour la description des pistes, les commentaires de Laurent Goddet [rédacteur à Jazz Hot], parce qu’ils sont simples, clairs et substantiels. Je me suis permis quelques retouches. Il ne met pas de majuscule à Jazz : personne n’est parfait ; je l’ai laissé en minuscule (une raison métaphysique : pas le temps d’expliquer).

  • Dizzy Moods : c’est la transition entre l’univers musical américain (le jazz) et la chaleur hispanisante du Mexique. La trame harmonique en est empruntée à une composition de Dizzy Gillespie (Woody’n’You), autre musicien inspiré lui aussi par les climats tropicaux. Cette superbe re-composition fut d’ailleurs écrite par Mingus dans la voiture qui le conduisait à la frontière mexicaine.
  • Ysabel’s Table Dance : c’est toute l’excitation des boîtes de strip-tease de la ville qui s’étale impudiquement devant nous, au son des castagnettes. Par endroits, le piano apporte à cette atmosphère irrespirable une bouffée d’oxygène. Il incarne musicalement la quête des “artistes” chichement vêtues passant de table en table pour ramasser quelques dollars.
  • Tijuana Gift Shop : plus oriental, ce morceau – une petite merveille de légéreté et de musicalité – évoque les boutiques souvenirs de la ville, plus précisément celle où Mingus entreprit l’achat d’une tapisserie murale.
  • Los Mariachis : Contrastant étrangement avec le gai déhanchement de la précédente composition, un blues de la fatigue et de la lassitude qui apporte l’arrière-goût âcre et acide des lendemains de fêtes. Los Mariachis, ce sont les musiciens ambulants qui suivent les touristes dans la rue et s’efforcent de jouer pour eux la musique qu’ils aiment, dans l’espoir de pourboire.
  • Flamingo : c’est le retour au monde musical des États-Unis, avec cependant, encore impressionnées au fond de la rétine, les couleurs chatoyantes de la feria mexicaine. Magnifiquement imprégné de cette chaleur parfumée qui règne tout au long du disque, ce standard des années quarante trouve ici une nouvelle identité grâce à l’habileté de Charles Mingus qui parvient à insuffler à ce thème cadavérique la sève empoisonnée des crépuscules du sud.

Charles Mingus un des grands Maestros du Jazz
Charles Mingus un des grands Maestros du Jazz

Et hop ! Je reprends complètement les commandes !

J’espère que la découverte ou la réécoute de Tijuana Moods vous a procuré un intense plaisir.
Pour ma part… 😉

A bientôt dans les mailles de la toile.

Gilles Arnaud

NOTA BENE : je viens de me rendre compte qu’on m’avait copié mon article (celui apparaissant dans l’ancienne version de ce webzine), et je trouve cela plutôt INADMISSIBLE.

Copyright Photographique : ATLANTIC RECORDS
Atlantic Records

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