Edgar Morin et son Journal de Californie / Les traces d’une expérience psychédélique

Edgar Morin en Californie à la fin des années 1960...
Edgar Morin en Californie à la fin des années 1960…

Edgar Morin ne se présente plus (si ?).

Philosophe français qui a su à travers les écoles échapper à l’enrôlement. Difficile par conséquent de lui coller une étiquette, de détourer son œuvre à l’aide des forceps que sont les structures idéologico-politiques respectables (et étouffantes donc angoissantes).

Mister Morin n’est pas du genre franc-tireur à mon sens, il est un philosophe remarquable et sans une once d’arrogance, un penseur contemporain au fait des productions de l’intellect humain – passé, présent et un goût de l’avenir imprègnent une pensée devenue flux.

Edgar Morin et la pensée de la complexité : arrêt sur image
Edgar Morin et la pensée de la complexité : arrêt sur image

La transdisciplinarité n’est pas son maître mot, mais bien plutôt une manière de naviguer avec aisance et naturel en ignorant les frontières académiques. Après tout, anthropologie, sociologie et biologie ne sont-elles pas fondamentalement des Sciences Humaines ? Cette intuition première dessine une topographie/topologie d’un champs d’investigation propre au multi-assujettissement d’une pensée complexe.

On connait d’Edgar Morin [au minimum s’il-vous-plaît] pour La Méthode en 6 volumes, et son Pour sortir du XXème siècle qui devient après une réédition Pour entrer dans le XXIème siècle. Et d’ailleurs, nous y sommes déjà au XXIème siècle, depuis même plus d’une décennie… Le temps passe vite n’est-ce pas ?

Réseaux complexes : une application urbaine - la pensée d'Edgar Morin mal comprise...
Réseaux complexes : une application urbaine – la pensée d’Edgar Morin mal comprise…

Mister Morin fut invité à la Salk Institute de l’Université de Berkeley en 1969 pour quelques mois. Journal de Californie commence en septembre 1969, à l’aéroport d’Orly, pour se terminer sur un post-scriptum parisien daté de juin 1970. Ce qui est écrit, ce qui est transmis procède du journal ethnologique, mais pas au jour le jour, plutôt d’une impression forte à une autre, d’où une absence de régularité dans l’écriture. E. Morin ne s’est pas contenté d’observer les mouvements de la contre-culture américaine, il a pris part [observation participante narcotique parfois] et témoigne d’un flot qui emportait tout sur son passage. Il est bouleversé et connaît le bonheur en contemplant les mille manifestations étonnantes et bouleversantes d’une “révolution culturelle” extrême occidentale”.

Le bonhomme a donc la quarantaine (48 ans) et débarque en plein pendant les années soixante, au cœur d’une contestation sociétale qui déborde de toutes parts. “Think Different” ne se contente pas encore seulement d’être un slogan publicitaire suranné, mais exprime alors, une tension réelle vers une autre société, vers un autre monde possible. Une révolution en représentation où les revendications politiques n’hésitent pas à prendre la forme de Happenings. Le Living Theatre a bien choisi sa terre de prédilection.
Les quelques mois qu’il passe outre-atlantique s’avèrent avoir été d’une rare intensité. S’il est de bon ton pour un européen de parler d’une naïveté de pensée proprement américaine, Edgar Morin fit surtout l’expérience du partage de cette ferveur en vue de transformer les marges idéalistes en fondements renouvelés d’une société en mutation.

Le choix des citations est orienté par la volonté de dé-dramatisation de l’idée que l’on se fait d’une intelligentsia en costumes télévisuels, ou réunie en salons érudits où l’on cause à travers des discours abscons. Il a pris du bon temps le Sieur…

La recherche scientifique peut prendre des atours mystiques :

« EXTASE

Qu’est-ce que ça peut signifier, biologiquement ? La cellule connaît-elle des extases ?

L’expérience d’être ensemble et de nourrir ses sens autrement, consommation de drogues (marijuana, pcp, LSD, champignons magiques, etc.), environnement festif saturé de lumières aux effets stroboscopiques et d’une musique amplifiée qui pouvait alors être qualifiée de « stridente »… et tout ceci constitue un énorme décalage avec la sociabilité de l’américain moyen de la génération précédente :

Paix, joie, on boit du vin, on fume de l’herbe, on est ensemble.
(…)
Un type passe le long du gazon en agitant une clochette, et propose, marchand ambulant : “L.S.D. acide.” Il joue ? Johanne veut partir. Je vais un instant près de l’orchestre, où sont assemblés les frénétiques, qui dansent serrés les uns contre les autres, dans le vacarme assourdissant de seize sextuples amplificateurs disposés en batterie continue. L’ivresse me saisit, et je m’agite un peu moi aussi. De l’orchestre sortent par moments des beuglements magiques, comme ceux que font entendre les esprits dans la forêt sacrée. Formidable archaïsme. C’est ça que j’aime.
« 

Et là, le père Edgar verse dans le psychédélisme, la politique religieuse de l’extase version Timoty Leary
Une illumination parmi d’autres… o_O

« Je sens plus que jamais que le mot survivre devient synonyme de révolution, que le mot révolution devient synonyme de mutation, de la révolution vont devenir la seule et même question.
Moi, je sens l’angoisse en même temps que l’espoir, je sens le néant qui rode en même temps que l’espoir, je sens le néant qui rôde en même temps que l’espoir, je sens le néant qui rôde en même temps que la nouvelle vie. Mais Jonas est le prophète de la vie. Dieu est dans le gène. Le gène porte Dieu. Je lui écris sur un bout de papier [à Jonas Salk] : A.D.N., D.N.A. : ADoNaï, aDoNAï. Et c’est vrai : Dieu, principe de vie que nous portons en nous… »

Ce qui est remarquable chez un être humain, c’est de découvrir le monde et ses différences en se laissant faire. Prendre ses repères pour éviter de réagir par la force de ses préjugés ou tout simplement par le prisme de représentations qui ne sont pas plus pertinentes parce qu’elles sont partagées par beaucoup.

Naissance de concepts sociologiques sur un nuage de fumée bleue, certes, mais au-delà du clin-d’œil amusé ce Journal de Californie est un ouvrage à garder sous la main, très utile et nécessaire dans les moments où le vent du conformisme tente de s’immiscer avec plus de force qu’à l’accoutumé. Et l’on découvre dans les volutes une cohérence historique et anthropologique de symptômes :

« Roszak [il fait référence à l’ouvrage de Theodore Vers une contre-culture (1968)] a raison de pouvoir définir la “contre-culture” comme une totalité culturelle qui a son style de vie, ses sacrements (drogue, sexe, rock-festival) ses media (free press, radios, films), sa littérature ; mais il faut dire plus encore : elle a ses fondements ontologiques, ses embryons de structure sociale (réseaux de solidarité et cellules communales). Elle a sa base de classe avec la jeunesse et une fraction de l’intelligentsia, elle commence à avoir sa base économique (…) Bien sûr, tout cela pourra crever ou plutôt se dénaturer sous l’action conjuguée de la décomposition interne et de la répression externe.Mais c’est la pré-mutation inévitable de la civilisation moderne, si du moins celle-ci n’est pas détournée dans une vaste régression historique, ou ne subit pas un facteur déterminant nouveau.

Nous revenons à la rupture. Elle est aigüe, ample, profonde, parce que les U.S.A. sont le pays le plus avancé – le plus mûr – dans le devenir techno-urbain-bourgeois, donc le plus apte à connaître plus tôt le plus profondément les premiers symptômes de la crise civilisationnelle inévitable. »

Avant la plongée en images en sons dans la jeunesse hippie américaine des années 1960, la page Wiki bien foutue sur le père Morin :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Edgar_Morin

Bon maintenant, la génération de vos parents ou de vos grands-parents :

Un clip – The World of Acid – qui ne fut pas édité à l’époque (unreleased soundtrack) par The Love Generation (à partir d’images sans concession du documentaire de 1967 qui suit). Un avant-goût haut en couleurs… et qui retranscrit bien la soirée décrite par Edgar Morin… [9min 06s]

Le documentaire en toute subjectivité de Edgar Beatty de 1967, Something’s Happening (The hippie revolt), consacré à la jeunesse américaine de la fin des années 1960, et plus particulièrement au mouvement hippie et à la consommation de drogues douces et hallucinogènes. Lieux de tournage : Sunset Strip à Los Angeles et Haight-Ashbury district à San Francisco [1heure 14min 59s]

Vous avez remarquez : Edgar Beatty / Edgar Morin : Appelleriez-vous votre fils Edgar ?

à bientôt, dans un calme circonspect et beaucoup de retenue 😉
Gilles ARNAUD

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *